Olivier MEVEL, enseignant-chercheur et maître de Conférences.

Il interviendra le 28 mai prochain à la conférence « Créer et partager de la valeur dans le Grand Est : défis et solutions pour la bioéconomie »  à l’occasion de la rencontre annuelle d’Agria Grand Est

Entretien avec Olivier MEVEL, enseignant-chercheur et maître de Conférences.

Quels constats majeurs faites-vous sur la filière alimentaire ?

La proposition de valeur des produits alimentaires évolue pour intégrer progressivement la RSE ou encore la reconnaissance accrue de certains signes de qualité.

Il faut cependant considérer une population très hétérogène en termes de pouvoir d’achat : quand 30% des consommateurs sont fragilisés et ne peuvent prendre en compte que le prix en tant que principal critère d’achat, 50% sont aussi rendus plus prudents mais s’ils ont encore le choix du rapport qualité-prix et les 20% restant, les préservés de la crise, privilégient globalement la qualité et la théâtralisation des lieux de vente. Au sein de cette dernière catégorie, la moitié des consommateurs ont un tel niveau d’exigence qu’elle quitte les circuits d’approvisionnement classiques pour se tourner vers le commerce alimentaire spécialisé (Grand Frais, Picard, …) ainsi que des points de vente de niche, souvent ultra-locaux. La demande se fragmente et cette fragmentation de la demande amène progressivement à l’éparpillement de la distribution : la grande distribution a vu ses ventes en volume reculer de plus de 7% en 3 ans, la RHF recule elle aussi (-2%) sur la période 2019/2023, et ces changements s’inscriront potentiellement dans le temps. Seule le commerce alimentaire spécialisé progresse (+4%) sur les 5 dernières années.

Sous quel œil doit-on voir ces changements ?

La problématique est assez profonde et nous impacte sociétale ment mais aussi socialement : on observe un écart jamais vu entre le pouvoir d’achat et le vouloir d’achat, autrement dit, on ne peut pas ou plus acheter ce que l’on souhaite. Cet écart est au plus haut chez les 18-35 ans. Cela engendre de la frustration, du renoncement. Certains diront que les loisirs prennent une part trop importante dans le budget d’un foyer en 2024 : c’est faux. Les loisirs représentaient 10% des dépenses de consommation des ménages dans les années 70, aujourd’hui c’est environ 12%. Ce qui impacte le budget des ménages, c’est l’immobilier, dans toutes ses dimensions : l’achat ou le loyer, l’électricité, l’énergie, l’eau, peut-être bientôt les assurances ? On peut dire que c’est la pierre qui mange le budget alimentaire des français et non pas l’Iphone…

Si les foyers n’ont pas le pouvoir d’achat qu’ils souhaitent, où les entreprises alimentaires peuvent-elles créer de la valeur ?

Les entreprises ont voulu, ou dû, faire du volume et pour cela travailler avec la grande distribution, sur des promotions notamment. En voulant absolument promotionner pour suivre les attentes consommateurs, on a globalement dégradé la valeur perçue des produits alimentaires. Nous avons été habitués à ne plus payer les produits alimentaires à leur valeur réelle. Résultat, nous avons aujourd’hui un moindre consentement à payer pour de l’alimentaire que pour d’autres produits au sein de la fonction de consommation. Est-ce une situation inquiétante ? Oui ! La question est donc : comment relever la valeur perçue de l’alimentaire quand le budget des ménages est pris à 50% par le logement ?

La réponse se trouve dans la couverture de la demande : on ne peut plus développer des produits en pensant qu’ils couvriront 100% de la demande. La population a des besoins hétérogènes et l’offre produit doit être le reflet de ce constat. Il faut envisager d’avoir 1 offre par canal de distribution et par segment de pouvoir d’achat ;

Ces conclusions s’appliquent-elles aux entreprises alimentaires en Grand Est ou ont-elles des spécificités ?

Bien sûr que ces conclusions s’y appliquent. D’autant plus quand on comprend les spécificités du tissu économique local. On peut le comparer à celui de la Bretagne, que je connais bien. Au centre de la Région, on trouve peu de services mais des entreprises agricoles et agroalimentaires qui font vivre économiquement ces territoires. Des « territoires du centre », pourrions-nous dire. Si ces entreprises venaient à disparaître, les populations seraient contraintes de bouger vers les grandes villes pour y trouver des services, mais où la part du logement est plus conséquente dans les budgets et entrainerait une précarisation. Les politiques publiques ont donc le devoir de soutenir ce tissu économique essentiel et structurant pour la région.